13/09/2025 legrandsoir.info  8min #290305

Mozzarella de bufflonne : derrière l'image idyllique, une réalité sordide

Jérôme HENRIQUES

La Mozzarella de Bufflonne (Mozzarella di Bufala) est l'un des produits les plus connus et les plus vendus d'Italie. Commercialisé avec la mention "Made in Italy", il est considéré comme un produit d'excellence, apprécié tant au niveau national qu'international. Mais depuis quelques années, des ONG alertent sur les dérives de cette production. Derrière l'image idyllique, souvent dépeinte dans la pub (animaux broutant dans l'herbe etc.), se cache une réalité de souffrance animale que la plupart des consommateurs ignorent.

La mozzarella de bufflonne est associée à la région de la Campanie (côte ouest de l'Italie) où elle bénéficie d'une appellation d'origine protégée. Dans cette région, on élève environ 300 000 buffles, en grande majorité pour leur lait (qui permet de produire la célèbre mozzarella). Sur les 55 000 tonnes de mozzarella de bufflonne produites chaque année en Campanie, plus d'un tiers est destiné à l'exportation. La France, l'Espagne, l'Angleterre, l'Allemagne, la Suisse ou encore les États-Unis sont parmi les principaux clients. A elle seule, la France représente environ le tiers des exportations.

Le marché de la mozzarella n'a pas toujours été ce qu'il est. Depuis l'obtention du label AOP dans les années 90 et malgré quelques difficultés dans les années 2000 (scandale du lait contaminé à la dioxine notamment), en quelques décennies, la demande a explosé. En Europe (marché mature) d'une part, mais aussi plus récemment en Amérique du nord et en Asie (marchés émergents). Pour répondre à cette demande, de nombreux éleveurs se sont alors tournés vers l'intensif, avec tout ce que cela engendre de conséquences négatives pour les animaux.

Fini les pâturages, les buffles sont la plupart du temps enfermés dans des étables sales, où la lumière du jour entre peu. Impossible d'exprimer des comportements naturels, comme se baigner (essentiel pour réguler sa température corporelle) ou se coucher sur des surfaces propres, les animaux se tiennent généralement debout, sur des sols durs jonchés d'excréments. Les bufflonnes (femelles) sont surexploitées, pour maximiser la production de lait, tandis que les petits, souvent retirés de leur mère dès la naissance, sont placés à l'isolement dans de petites cages.

Des associations de protection animale (Essere Animali, Animal Equality Italia, We Animals, Four Paws) ont enquêté durant plusieurs années dans des élevages intensifs de bufflonne. Les images qu'elles rapportent sont édifiantes. On y voit des animaux vivant dans des environnements dépouillés, insalubres, en contact permanent avec le béton. Nombre de bufflonnes souffrent de sabots trop longs, de tumeurs et de blessures non soignées ; certaines n'arrivent même plus à marcher. Des images prises au moment de la traite montrent des animaux entravés, les pattes attachées pour les empêcher de partir (ou donner des coups de pattes dans la pompe à lait).

Dans ce type d'élevages, les animaux sont considérés comme de simples machines à produire. Certaines bufflonnes présentent des cas de prolapsus graves, typiquement causés par des gestations multiples (elles mêmes engendrées par des inséminations artificielles à répétition), une alimentation inadéquate et un manque d'exercice physique. Pour augmenter la production de lait, les bufflonnes reçoivent également des injections d'ocytocine, une hormone dont la production naturelle est inhibée par les conditions de stress dans lesquelles elles vivent.

Les petits ne sont pas mieux traités. De nombreuses images montrent des veaux émaciés, qui peuvent à peine tenir debout. Dans certains élevages, ils sont placés dans des cages individuelles (avec un sol grillagé dépourvu de litière), dans d'autres, ils doivent supporter un anneau nasal les empêchant de téter. Ailleurs, on peut voir des veaux morts gisant sur le sol au milieu de leurs congénères. D'autres images encore, prises lors du chargement des veaux (mâles) pour l'abattoir, montrent des opérateurs traiter les animaux sans ménagement, les jetant dans les camions comme de vulgaires marchandises.

Le sort des veaux mâles est d'ailleurs un sujet en soi. Dans l'une des enquêtes, un militant témoigne : "Nous avons trouvé ce qui semblait être un charnier de jeunes buffles mâles". Explication. Dans l'industrie laitière, les mâles sont considérés comme des ressources inutiles (dont il faut se débarrasser au plus vite) (1). Mais comme la loi italienne impose d'attendre l'âge d'un mois avant de les envoyer à l'abattoir, certains éleveurs décident de s'en débarrasser eux-mêmes (clandestinement). La presse italienne se fait régulièrement l'écho d'affaires sordides (animaux affamés, abandonnés, noyés, attachés agonisant en plein soleil).

Autre sujet : la brucellose. A cause des mauvaise conditions de vie (saleté, promiscuité, stress), les animaux d'élevage (à fortiori intensif) sont particulièrement vulnérables aux maladies. Parmi elles la brucellose, une maladie touchant les bovins et potentiellement transmissible à l'homme (via contact avec des animaux infectés, du lait non pasteurisé). Avec ses quelques 1 200 élevages de bufflonne, la région de Campanie est particulièrement touchée par ce problème, lequel requiert régulièrement l'abattage de troupeaux entiers (2).

A cela s'ajoute les problèmes environnementaux. Les bufflonnes sont des ruminants, ce qui les range dans la catégorie des animaux les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Les élevages de bufflonnes sont également de grands consommateurs d'eau (pour cultiver le fourrage, abreuver les animaux) et un facteur de pollution important pour les cours d'eau environnants (rivières, nappes phréatiques). Les effluents d'élevages se déversent dans les rivières voisines (surtout pendant les pluies), ce qui entraine une eutrophisation (un déséquilibre) du milieu et une atteinte à la faune sauvage (poissons et autres)(3).

Les problèmes (scandales) précités rejoignent ceux que l'on retrouve dans les autres types d'élevages laitiers, en particulier intensifs, qui existent un peu partout dans les pays industrialisés (France, Espagne, Angleterre). Élevages dans lesquels les vaches/bufflonnes sont considérées comme de simples machines à produire, surexploitées jusqu'à l'épuisement, tandis que leurs veaux sont considérés comme des sous-produits, voire des déchets (comme ici dans le cas des buffles) lorsque la viande de veau n'est pas valorisable.

Que peut-on faire pour ne pas participer à ça ? Déjà se tourner vers des produits bio, issus de petites fermes, qui respectent quand même mieux le bien-être animal que les élevages intensifs. En bio, certaines pratiques sont interdites (l'écornage des veaux, l'utilisation d'anneaux anti-tétée), les animaux disposent de plus d'espace, d'un accès à l'extérieur. Mais le bio n'est pas une panacée (la séparation veau-mère y est permise, les animaux finissent aussi à l'abattoir) et le mieux est quand même de se passer des produits animaux. Il existe aujourd'hui des mozzarella végétaliennes, faites à partir de noix de cajou ou de soja. Pourquoi ne pas essayer ?

Notes

(1) La viande de veau est peu valorisable. Elle peut éventuellement servir à produire de la nourriture pour chiens et chats.
(2) Selon les propos d'un éleveur rapportés par We Animals, la viande d'animaux abattus (à cause de la brucellose) peut terminer dans des boites en conserve ou des hamburgers servis en fast food (genre McDonald's).
(3) Sans compter les cadavres de veaux mâles abandonnés dans la nature (champs, rivières) ou enfouis illégalement sous terre qui finissent également par polluer les nappes phréatiques.

Liens et références

Essere Animali (1)
 essereanimali.org
Essere Animali (2)
youtube
Essere Animali (3)
youtube
Animal Equality (1)
 animalequality.org
Animal Equality (2)
youtube (Animal Equality)
We Animals (1)
 weanimals.org
We Animals (2)
youtube (We Animals)(vidéo inclue dans l'article)
Four Paws (1)
 quatre-pattes.ch
Four Paws (2)
youtube
Four Paws (3)
 four-paws.org
Mozzarella : Le fromage de la souffrance (Arte)
Derrière la mozzarella di bufala, le scandale de la maltraitance des buffles mâles ( Libération/article réservé aux abonnés),  version réseaux sociaux,  vidéo
 L'alliance de la gauche et des verts demande aux ministres de la Santé et de l'Agriculture d'intervenir contre l'abattage/abandon illégal des veaux mâles (pour des raisons éthiques et environnementales)
 Abattage/abandon illégal des veaux mâles : la pratique est courante mais les sanctions sont rares
 Des jeunes buffles mâles attachés et laissés mourir de faim, noyés dans les rivières et les cours d'eau...
 Des cadavres de jeunes buffles mâles retrouvés ligotés les uns aux autres et laissés mourir de faim
 Des cadavres de jeunes buffles mâles retrouvés morts sur une plage
 Des petits buffles arrachés à leurs mères et laissés mourir de faim et de soif dans une étable
Plus généralement, le problème (les autres scandales) de l'industrie laitière...  en Italie,  en France,  en Angleterre,  en Espagne

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